Les mémoires d’Akiko
Oren le Conteur
Je suis comme un poisson dans l’eau
mais l’eau est peu profonde.
Je me nomme Akiko,
et pour que ce nom me corresponde
encore faudrait-il le comprendre.
Akiko veut dire ‘’enfant d’automne’’
mais au risque de vous surprendre,
je suis une fille d’hiver,
sous le signe du poisson.
Je suis donc l’enfant d’automne
née à la mauvaise saison.
Voilà pourquoi je ne suis pas,
et ne peux être, au bon moment
au bon endroit.
Je suis comme un poisson dans l’eau
mais l’eau est peu profonde…
Je ne devrais pas être là,
ici les poissons ne nagent pas,
ils sombrent…
Akiko
Je suis fille d'automne,
amoureuse de la mer,
une feuille presque morte
qui tourbillonne et fend l'air.
Je suis d'écorce et d'écume,
je suis la terre, je suis l'eau
ma force est ma plume,
je suis de vers et de mots.
je suis fille d'automne,
amoureuse de la mer,
Akiko, je me nomme,
et ceci est ma Terre.
Koï 1
Sous l'onde je nage,
de murmures en silences.
Et si ma danse reste sage,
c'est parce qu'à l'évidence,
mes errances abyssales
n'intéressent personnes.
Mes fragrances n'emballent
ni les piafs, ni les hommes...
À quoi bon faire des vagues
si je n'ai, pour public,
que les pierres, les algues
et les plantes en plastique.
À quoi bon faire du bruit
si je n'ai, pour client,
qu'un enfant qui s'ennuie
au fond du restaurant.
Koï 2
À respirer sous l'eau,
d'un artificiel
bassin de Kyoto,
j'ai oublié les flots
naturels
des ruisseaux
dans lequel je dansais
à l'abri des voyeurs,
des regards indiscrets
et des vils pêcheurs
qui, depuis, me retiennent
dans les mailles.
Ils ont fais, d'une sirène,
un poiscaille.
Koï 3
Je bouge,
j'oublie...
Mémoire de poisson rouge,
amnésie.
Je vais,
je laisse...
Nageoire de poisson laid,
tristesse.
Le yukata
J’ai refusé de porter le kimono.
J’ai refusé de sourire à tes amis,
de les servir,
d’être polie.
J’ai refusé d’être celle
que tu voulais que je sois,
ni catin, ni geisha.
J’ai enfilé le yukata
et suis parti,
livre en main,
donner du pain
aux cygnes blancs
sous les Sakura fleuris.
J’ai enfilé le yukata
et j’ai lu quelques vers.
Puis j’ai dansé
sous les cerisiers.
'' Ma mémoire est un bassin dans lequel ondulent les koïs entre pensées et souvenances. ''
Koï 4
Au milieu du bassin,
dessous les nénuphars,
je vais et je viens
entre ici et nulle part
tout en rêvant. D'ailleurs,
dessous les nénuphars,
au milieu du bassin,
il n'y a rien...
Koï 5
À contre-courant
dans les rivières, les torrents,
j’allais, toujours.
Aujourd’hui, somnolent
dans le bocal ou l’étang,
je vais, tout le temps.
Koï 6
Je suis le courage et la persévérance.
Un symbole de patience
autant que de passion.
Mais à vos yeux vitreux
dépourvus d’intelligence,
je ne suis qu’oubliance
autant que poisson.
Amoureuse
Je me souviens des papillons
battant des ailes au creux du ventre.
Je me souviens cette impression,
de l’univers, être le centre.
Je me souviens avoir rougi
dans tes bras, la première fois.
Gênée, timide et effrayée d’être là.
Là où d’autres que moi
se seraient plu,
bien plus que moi.
Là où d’autres que moi
se seraient vu,
bien avant moi.
Je me souviens des mots brisés
sur le bord de mes lèvres,
incapables de s’y jeter
pour s’envoler jusqu’à toi.
Mon Dieu, que je fus silencieuse,
t’en souviens-tu ?
Pas très loquace, la conquête,
faut être honnête…
mais amoureuse la taiseuse,
faut bien l’admettre.
T’as toujours dit que j’étais ‘’mignonne’’
mais à présent, c’est du passé,
tu peux m’avouer que j’avais l’air conne
à bredouiller des platitudes.
Je me souviens de ces années.
Pourquoi maintenant ?
Ça je l’ignore.
Qui sait, peut-être pour m’accrocher,
me dire qu’au fond je t’aime encore,
comme au temps des papillons
battant des ailes au creux du corps.
Mais ils se sont envolés,
faut être lucide.
Faut croire qu’ils ont dû se lasser
des coups portés au creux du bide.
La promenade du philosophe
J’erre sur le chemin de Nishida,
perdue dans mes pensées.
Mes méditations à moi
ne sont clairement pas au niveau.
Kyoto s’est habillée de rose et de blanc,
c’est le printemps,
le temps du hanami,
et je reste coincée en Aki.
Je suis l’enfant de l’automne
dont plus personne
n’a envie.
On lui préfère la fille d’hiver
ou l’incandescente Natsu.
Elle qui n’a que le corps pour plaire
et qui s’effeuille pour quelques sous.
Alors je vais sur le chemin de Nishida,
nourrir le rêve d’être vu, rien qu’une fois,
autrement.
Maneki-neko
La pluie n’en finissait pas
de s’abattre sur Tokyo.
Chacun s’abritait où et comme il pouvait.
Moi, je n’avais nulle part où aller.
Mon foyer,
je l’avais quitté un peu plus tôt
dans la journée.
Tout était à refaire,
recommencer…
Délestée de ses années lourdes à porter
j’allais, légère, poussée par le vent
à travers les rues,
entre ces bâtiments qui m’étaient inconnus.
Trempée, de la tête au cœur,
je me cognais aux portes closes
et aux murs invisibles
dont j’étais l’architecte.
À trop s’emmurer dans le silence
on oublie comme le bruit est effrayant.
Toujours à contre-courant
dans le torrent des parapluies
j’attendais la chute.
Mais au détour, d’un carrefour,
sombre comme les nuages,
il m’est apparu.
Je l’ai suivi
dans ce dédale d’âmes et de pierres,
le tintement de sa clochette pour repère.
La pluie, le vent, le bruit,
mon guide inattendu
n’en avait que faire.
La ville était à lui,
et mon destin, aussi.
Il pressa le pas,
course folle dans les rues de Tokyo
sous les eaux.
Puis,
assis sur le palier d’une maison
aux couleurs des fleurs de cerisier,
il leva la patte,
comme une invitation.
La pluie n’en finit plus de s’abattre sur Tokyo,
mais, à présent, je suis à l’abri
grâce à Maneki-neko.
Koï 7
Surface de glace
Un poisson, du bout des lèvres.
Embrasser le ciel
Koï 8
Petit poisson
Au fond de l’eau
As-tu vu l’oiseau
Qui te toise de haut ?
Petit poisson
Ne t’inquiète pas
Regarde le chat
Qui l’observe d’en bas.
Koï 10
J’ai le cœur au fond du sac
et le sac sur l’épaule.
J’ai le cœur au fond du sac
et j’attends qu’on me le vole
à l’arraché,
violemment,
sans prévenir…
À la volée,
évidemment,
sans me le dire.
J’ai le cœur au fond du sac
et le sac pue la thune
pour attiser les convoitises.
J’ai le cœur au fond du sac
et je traque l’infortune,
mais l’espoir s’amenuise.
Puisque ce cœur au fond du sac,
autrefois, je l’ai donné.
Et si depuis il est en vrac,
c’est qu’il n’a pas été aimé.
Alors, peut-être, si l’on me braque
ce cœur en sac…
Koï 9
Plus d’eau dans la marre
Où est-elle donc passée ?
Ici-bas tout se barre
Sans rien expliquer.
S’en est-elle allée rejoindre l’océan
Ou au creux des nuages ?
Nul ne le sait vraiment.
Rien jamais ne demeure.
Où vont les choses lorsqu’elles se meurt ?
Un jour où l’autre,
Gronde tonnerre
Et goutte de pluie retourne à la mer.
Koï 11
J’aimerai embrasser.
Cela fait si longtemps,
je crains d’avoir oublié.
J’aimerai embrasser,
mais je ne sais plus comment faire.
S’il faut ouvrir les yeux ou les fermer,
s’il faut pencher la tête, de quel côté…
S'il faut parler ou se taire...
J’aimerai embrasser
mais je ne veux pas jouer de la bouche
comme une koï
et manquer d’air, à bout de souffle
au bord du gouffre salivaire.
Me noyer d’avoir goûté
aux lèvres d’un amour éphémère.
J’aimerai embrasser
Mais je ne sais plus,
alors je révise, face au miroir,
avec ma main comme les gamins
qui ne savent pas
et miment des lèvres avec leurs doigts.
Dis-moi pourquoi
Dis-moi pourquoi
j’ai peur, j’ai froid
lorsque tu me prends dans tes bras
quand ils sont là,
quand ils nous voient
qu’ils croient qu’on s’aime comme autrefois ?
Dis-moi pourquoi
j’ose plus parler
quand, des soirées, tu es le roi ?
Pourquoi j’enfile ce vieux sourire
qu’est devenu bien trop grand pour moi ?
Dis-moi pourquoi,
quand ils sont là,
je n’existe plus qu’à travers toi :
femme invisible,
spectre risible
dont tu te moques encore une fois,
et dis-moi pourquoi
ils se marrent
de me voir morte entre tes doigts ?
N’ont-ils que brouillard dans le regard
pour ne pas voir que rien ne va ?
Dis-moi pourquoi,
quand ils s’en vont,
je retiens ma respiration ?
Le corps figé,
comme pétrifié,
planté au milieu du salon.
Dis-moi pourquoi
j’ose plus parler
lorsque tu élèves la voix
pour me juger,
pour m’insulter,
me piétiner encore une fois ?
Dis-moi pourquoi
Tu restes là
si je te fais honte à ce point-là ?
Dis-moi pourquoi
tu ne te barres pas
si t’en peux plus d’être avec moi ?
Dis-moi pourquoi
tu ne te barres pas
si t’en peux plus d’être avec moi ?
Dis-moi pourquoi
tu dis que tu m’aimes
entre deux baignes,
dis-moi pourquoi ?
Car quand on aime,
quoi qu’il advienne,
cogner son autre ne se fait pas.
Dis-moi pourquoi
tu serres les dents ?
Dis-moi pourquoi
tu serres les poings ?
Dis-moi pourquoi
j’ai mal dedans
rien qu’en dévisageant tes mains ?
Dis-moi pourquoi
qu'est-ce que j't'ai fait ?
j'suis désolée
j'sais pas pour quoi !
Dis-moi pourquoi
mais n'approche pas,
tu me fais peur,
reste loin de moi!
Dis-moi pourquoi
j’ai mal, j’ai froid,
alors que je suis dans tes bras ?
Dis-moi pourquoi
je meurs de froid ?
Dis-moi pourquoi
je meurs de toi ?
Dis-moi pourquoi,
putain dis-moi
pourquoi tu ne me laisses pas seule ?
Dis-moi pourquoi,
putain dis-moi
pourquoi, pourquoi
tu m’casses la gueule ?
Dis-moi pourquoi…
Lost in Nagoya
Les rues sont bondées
mais il n’y a que moi
à déambuler
dans les rues de Nagoya.
Sous les parapluies,
les sans émotions
emportent leur vie
jusqu’à destination.
Moi je n’ai qu’un rêve,
dans mes mains, enfoui,
que je porte à mes lèvres
et protège de la pluie.
Le feu passe au vert,
je vais, contre-courant,
où s’en allaient naguère
lanternes et cerfs-volants
arrachés par le vent
aux menottes des enfants.
Les rues sont bondées
mais il n’y a que moi
qui ne sait où aller.
Lost in Nagoya.
Tsukoyomi
Tsuki no Miya,
Dieu de la Lune,
regarde-moi.
Vois comme j’ai mal,
Allongée, là,
sur le bitume.
Le corps glacé,
le cœur d’écume.
Tsukuyomi-no-Mikoto,
vois comme ma vie
près des roseaux
ressemble à celles
des sans patries,
des sans amours,
des sans pays.
Oh Tsukiyomi,
Dieu de la lune
et de la nuit.
J’ai froid, j’ai peur,
emporte-moi
dans tes hauteurs.
Veille sur moi.
Origami
Plie-moi.
Déplie-moi.
Que naisse la grue
d’une feuille volante,
fleur de papier,
barque flottante,
et dépose-moi
sur un bord de fenêtre,
près d’une bougie,
comme un hommage
à Sasaki
la survivante.
Plie-moi.
Déplie-moi.
Use et abuse,
caresse-moi.
Fais-moi avion
ou papillon
que je m’envole.
Une dernière fois,
insuffle la vie
du bout des doigts.
Moi qui ne suis
qu’une page blanche
quand sur une autre
tu te penches
pour la plier
la déplier.
Itadakimasu
Je garde la tête baissée
tandis qu’il assène sa violence
en mots non pesés mais pensés.
Je garde la tête baissée
et accepte ma condition
sans broncher.
Je l’ai déçu,
une fois de plus.
Je fixe le bol de ramen
qui a cessé de fumer
depuis longtemps déjà.
Cela fait des semaines
que l’ambiance est autant glacée
que les plats sont froids.
Froids comme le cœur de cet homme
que je m’efforce d’aimer
malgré moi.
Je garde la tête baissée
pour ne pas le défier.
Un regard peut, parfois,
exprimer davantage que la voix.
Je garde la tête baissée,
les poings serrés
mais je ne suis plus là.
Je ne l’entends plus,
je ne l’écoute pas.
Je garde la tête baissée,
Les yeux plongés dans le bouillon
et rêve de m’y noyer,
rejoindre le poisson,
qu’on me dévore bruyamment
en m’aspirant,
par politesse,
qu’enfin je disparaisse
de la vie de mon époux.
Itadakimasu
Sex-appeal
J'aurais aimé une autre fin
que celle qu'on lit dans les bouquins,
mais mon Milliardaire masochiste
ne veux pas ranger la cravache.
J'aurais aimé un happy end,
un peu d'amour, un p'tit poème,
mais mon ''Plein aux as'' égoïste
exige toujours que je l'attache.
Alors, oui, moi je m'exécute,
en bonne petite maîtresse docile,
je l'humilie et je l'insulte
tous les jeudis au ''Sex-Appeal''.
Alors, oui, moi je m'exécute
en bonne petite hôtesse servile,
qu'on humilie et qu'on insulte
toutes les nuits au ''Sex-appeal''
Viens dans mes draps
Viens dans mes draps,
rien qu'une fois,
ils ont l'odeur
des nuits manquées.
Des nuits passées
à trop penser
à tout ce qui n'est pas arrivé.
Viens dans mes draps,
rien qu'une fois
qu'ils aient l'odeur,
l'odeur de toi.
Toi qui obsèdes mes pensées
quand sous les draps
je vais danser.
Incandescence
Je veux rejoindre mes sœurs lumières
au sommet de la perche.
Qu'on m'embrase la mèche
qui consume la chair.
Lanterne gardienne,
chasseuse de démons
au cœur de la nuit ;
qu'Akuma quitte Akita
et réveille les endormis.
Je veux que l'on m'allume,
que l'on me porte.
Je veux effleurer la lune
qui nous escorte.
Qu'on m'enflamme,
qu'on me danse,
être femme, "Incandescence".
"On ne peut admirer en même temps la lune,
la neige et les fleurs"
proverbe Japonais